T.riste

Elle s'appelle Triste, elle a le visage en forme de larmes. Elle fait des ravages, elle déchaîne les tempêtes.
Elle avance hagarde sur un drôle de fil. Son regard se perd sur une idée au loin, une obsession. Elle n'a qu'une idée en tête, une idée qui la meut, une idée qui l'articule, mais elle ne sait plus laquelle. Elle sait qu'elle est au loin, devant. Elle sait qu'elle la retrouvera si elle marche tout droit.
Alors elle se lève, mécanique, et elle avance. Elle ne quitte pas son horizon des yeux, elle lui compte les rayures, et recompte les rayures, au rythme de ses pas. Elle compte pour occuper l'espace laissé vacant par les brumes de son idée dissipée.
Cette idée, une certaine idée du bonheur.

G.eorgina

Georgina est fille de Georges et de Georgette.
Dans la famille des Georges, on est fille... de mère en fille.
Georgina est fille donc.
Fille à jupes et jupons, fille à chiffons et dentelles, malgré elle. Quand on est petit, on enfile ce qu'on vous pose sur la tête, on goûte au déguisement. Fille donc.
Fille à petits pas sur le gravier, mais pas trop vite tu pourrais te blesser ; fille à saute-marelle, mais ne ricoche donc pas ainsi sur les rochers, chez une demoiselle ça ne se fait pas. Fille à corde à sauter, puis femme à corde à linge ; fille à poupons et poupées, puis femme de maisonnée.
Fille à plumer la volaille mais à garder la peau douce.
Fille à soupirer. Mais ne nous méprenons pas, ce n'est pas après ses soupirants qu'elle soupire...
Georgina n'aime ni la volaille, ni les colifichets, elle se fiche bien d'avoir la peau douce si elle ne peut rien effleurer.
Georgina rêve de batailles, de mots ou de cerveaux, de joutes verbales, de démonstrations colossales et d'oraisons enflammées. Georgina voudrait être fille d'esprit ou femme de lettres. Fille de cuisine peut-être, mais fille savante. Femme vivante.
Elle écosse les petits pois et rêve de pomme qui tomberait plus bas, d'œuf qui ne roulerait pas, de triangles de guingois.
Elle sert le thé dans la porcelaine de famille, et redistribue en silence les rôles : la théière sera reine de cœur, le pot à lait sera lapin, ... Elle est Alice et rejoue à sa façon Perette et son pot au lait.
Dans le fond de son assiette, elle relativise toutes les théories.
Georgina se demande si elle sera femme à pois ou à rayures. Georgina se rêve fille à bretelles, fille à galoches. Elle sera femme à barbe et n'aura pas peur d'emprunter les sentiers crottés. Georgina veut de la vie et tant pis si ça salit.
Georgina assise dans son fauteuil laisse son regard s'évader au loin, baluchon sur l'épaule. Elle est misérable, elle est sans famille. Elle part pour quatre-vingts jours, elle part sous la mer, elle part au centre de la Terre.
Elle explore son univers et se fabrique des constellations avec des confettis.
Elle reviendra plus grande, vieillie et marquée. Elle reviendra vivante avec au creux de la pupille l'étincelle de ceux qui connaissent les secrets.

F.auvette

Fauvette était oiselle-tigre, mais elle avait de petites frilosités.
Fauvette à la plume rayée s'enfuyait.
C'était décidé, elle troquait le froid de ses toits hivernaux et immobiles pour d'autres clémences. Elle irait là où le monde bouge sans cesse et sans peur du mouvement. Elle ne savait pas à quoi cela pouvait ressembler, mais certainement elle le reconnaîtrait.
Elle partait bille en tête, à tire d'aile.

A.louette

Alouette a la tête à l'envers, c'est pour ne pas voir ce qui se trame après l'hiver.
Alouette a le regard vers hier, à scruter la poussière.
Alouette a la tête dans les pieds, elle ne fait que trébucher. Alouette se laisse plumer, parce que ça, elle sait.
Alouette chante tout bas quand elle est sûre qu'on ne l'entend pas.
Alouette a peur de déplaire, elle a encore plus peur de plaire.
Alouette voudrait être girouette, mais cachée au ras du sol, elle ne prend pas le vent. Alouette respire bas. C'est pour éviter le vertige et la tête qui tourne.
(...)